La rencontre avec Aude Franjou est l’une des aventures les plus folles qu’ait connu l’eroa et une nouvelle expérience. L’œuvre d’Aude Franjou est singulière et unique, elle ne pouvait être emprisonnée dans le petit espace en absides de l’eroa. Il lui fallait un écrin et jaillir dans la poétique blancheur de la chapelle du musée de la Chartreuse, parmi la collection de sculptures du XIXème. Madame Labourdette, conservatrice, et sa collaboratrice Madame Botte sont tombées sous le charme de l’œuvre et ont validé le projet d’exposition et de mécénat car s’agissant, non seulement d’une exposition mais aussi d’une création, d’une installation originale. L’eroa par le truchement du musée devient donc partenaire d’une création dont l’histoire, son évolution est l’objet de l’exposition du collège.
L’œuvre de Aude Franjou par sa poésie, par sa prise en compte de l’espace déborde le cadre de la simple fibre textile pour amener une écriture. Une œuvre in situ dans un lieu dédié aujourd’hui à la mémoire et présentation de la collection de sculptures du XIXème. Collection qui rencontre une œuvre contemporaine, une œuvre de couleur, d’un rouge qui pare l’espace blanc de la chapelle. Une installation qui rend hommage à la fonction première de cette chapelle, au travers d’un titre évocateur « Les Processionnaires » en clin d’œil à la vie monastique des Chartreux qui avaient pour valeur, au-delà de la prière, le travail. Un travail que l’on accomplit jour après jour, parfois de manière rituelle et dans une tâche répétitive. L’œuvre de Aude Franjou repose sur cette démarche, cette réplique d’une vie monastique en ce sens où effectivement chaque pièce nait du travail et du labeur d’une journée, dans une technique qu’elle a mise au point en échappant au métier de haute lisse, dans un geste répétitif qui va donner naissance, non pas à des formes répétitives mais à autant d’emprisonnement, dans le lin et le chanvre, d’histoires et vécus d’une journée, la trace du labeur des mains qui souffrent du geste.
L’œuvre est présente une année durant, ponctuant le dialogue de ces 365 jours qui vont, après l’empreinte de l’artiste, se charger de 365 petites histoires muséales dans la rencontre avec un public et ses émotions. Une écriture comme si tous les chuchotements qu’ont pu entendre les murs se réveillaient comme autant de traces poétiques, autant de couleur, mettant en évidence que non seulement que ces murs ont des oreilles mais une mémoire. Une œuvre d’une rare poésie, une œuvre dans l’espace qui laisse dans ce dernier le possible de la déambulation, de la procession pour que chacun puisse se saisir d’une expérience. L’œuvre et sa présence, l’œuvre et son absence, en ce sens qu’il y a certes 365 pièces mais autant de vide et de silence qui l’emplissent.
Les dessins quant à eux se donnent aux murs de l’eroa, montrent la genèse, le cheminement de la pensée de l’œuvre. Ils offrent au public des élèves et à toute personne souhaitant les découvrir, le rare préalable, avant de se rendre face à la pièce, de se savoir dans la matrice et de pouvoir anticiper l’œuvre tout en ayant la possibilité face à elle de mesurer l’écart, les écarts. De voir comment l’œuvre a pris chair, fibre.
Yann Stenven