Peintre, dessinateur, sculpteur et vidéaste, le Britannique Douglas Eynon semble chercher la grâce au cœur de l’immédiat et de la matière. Dans une sorte de romantisme d’après la modernité, qui puise aussi volontiers aux sources du surréalisme, son œuvre fait surgir la fantaisie au cœur du prosaïque. Son univers, souvent figuratif, semble parfois relever de la tradition d’une peinture allégorique, voire symboliste, mâtinée de culture punk, dont les clés de lecture auraient été effacées. en découlent des situations jamais vraiment rassurantes, entre mythes, fables et films d’anticipation.(Guillaume Désanges, pour La Verrière, Fondation d’entreprise Hermes, 2017)
I know what it is
But I don’t know where it is
Where it is
Well, I know where it is
But I don’t know what it looks like
What it looks like
Well, I know what it looks like,
But I don’t know where she comes from
Well, I know where she comes from,
But I don’t know what’s her name
The Talking Heads, Perfect World (1985)
Si on assemblait tous les travaux de Douglas Eynon, qu’on on les articulait dans une sorte de gigantesque installation un peu monstrueuse, on découvrirait alors un paysage un peu étrange, légèrement inquiétant, mais cohérent.
Les œuvres se rejoignent, se répondent les unes aux autres : on y retrouve des couleurs, des éléments plastiques, des morceaux de narration, et en tout cas une ambiance particulière.
Douglas Eynon n’a pas de media privilégié, il a utilisé toutes les formes plastiques disponibles pour exposer, extraire presque, sa vision particulière du monde. Cette Weltanschauung unique est rendue visible par les différents travaux : de grandes peintures expressives, réalisées avec des coups de pinceau vigoureux dans des couleurs grinçantes (des lacs d’un jaune acide au milieu de montagnes brunes, sous un ciel aux nuages noirs, une baignoire à l’eau sombre dans laquelle vient se tremper le bulbe jaunâtre d’une ampoule électrique), des peintures d’une taille plus réduite au rapport plus intime, dans une gamme de couleurs encore plus réduite et violente (une personne peinte avec des couleurs assourdies, affublée d’une bouée en forme de canard qui ne touche pas l’eau d’un jaune vert éclatant ; un portrait d’une personne à l’air renfrogné, encapuchonnée, dont ne ressortent que certaines traits jaunes), à des sculptures de bronze aux formes végétales, qui se dressent devant la matrice qui les a générées.
Dans le fond, c’est de frontières dont il est question : cette forme de narration détournée, cet univers qui se tisse d’un travail à l’autre, se développe pour nous amener à explorer un monde qui nous est étranger, même s’il reste peuplé d’éléments familiers. Le lien avec notre environnement quotidien est toujours présent, des fragments subsistent, mais il nous fait basculer dans un univers fictif, « un peu absurde », comme il le dit.
Douglas Eynon construit des espaces imaginaires dans les espaces réels dans lesquels il expose, et fait cohabiter des choses inhabituelles.
I met a doctor, he want to be a dancer
I met a mother, she want to be alone
I met a preacher, he want to be sinister
I met a kid, he want to be unknown
Cat Power Real Life (2012)
L’ensemble des sculptures présentées au collège Miriam Makeba, dans le cadre de l’EROA, a lui aussi une histoire à nous raconter.
Le visiteur se retrouve face à sept visages de bronze, un peu difformes, un peu étranges, qui sont fixés à différentes hauteurs dans l’espace d’exposition.
Il y a une double narration à raconter, alors.
D’abord : la forme. Les visages de bronze, dont on saisit vite qu’ils ont d’abord été fabriqués en argile parce qu’on en voit les traces de la fabrication, les empreintes des doigts, le moment où la min se retrouve confrontée à la matérialité de la terre, ces faces sont accrochées sur une sorte d’entonnoir en bronze, on aperçoit les cheminées de la fabrication.
On pense alors à la série de sculptures qui avaient été montrés dans sa galerie il y a quelques années, pour laquelle Douglas Eynon utilisait l’atelier de fonderie comme un outil : dans le sable utilisé pour mouler les pièces en bronze, il dessinait une sorte d’arbre avec son doigt, et le métal en fusion était alors versé dans el dessin ainsi creusé. Une fois refroidi, la sorte d’arbre, ou d’algue, était redressée et montrée avec sa matrice. Le processus de fabrication, laissé visible, n’entrave cependant pas la sidération face à l’œuvre.
Nos visages en bronze, alors, montrent eux aussi le processus de leur fabrication.
Mais l’artiste nous raconte encore une autre histoire : ces masques, ce n’est pas lui qui les a tout d’abord produits. Invité à animer un atelier et à produire une œuvre par l’IRSB de Bruxelles, qui accueille des aveugles, Douglas demande à ses étudiants du jour de fabriquer un masque.
Mais un masque, pour une personne non-voyante… c’est de l’ordre de la fiction : jamais il n’en ont trouvé l’utilité.
Alors, on les imagine, tentant de reproduire la forme de leur visage avec la terre en se servant de leur propre visage comme point de départ, une bosse ici, un creux là…
Comme Douglas Eynon le souligne, aucun de ces masques n’a de trou pour les yeux.
Certains sont assez naïfs, d’autres plus élaborés, on peut imaginer les expressions des émotions, de sa propre image. On est confrontés, face à face, avec ces masques aveugles.
Douglas Eynon insiste aussi sur une dernière chose, de l’ordre de la perception, pour rendre plus intime encore la relation à la sculpture : ces visages de bronze, pour complètement les appréhender, il faut les toucher : caresser du bout des doigts, les yeux un instant fermés, les formes qui se révèlent, chercher à reconstituer mentalement le visage d’abord aperçu, mais aussi les intentions du modeleur, saisir les écarts visuels et tactiles des œuvres avec leur modèle : les plus ressemblantes avec les yeux ne sont pas les plus ressemblantes avec les mains, certains visages sont complètement déformés, d’autres méconnaissables…
C’est la seconde fois seulement, me dit Doug Eynon, que les visages de bronze sont montrés en groupe. La première fois, c’était à l’issue du travail avec les non-voyants.
Une grande partie de ma pratique artistique se concentre sur comment installer un ou plusieurs travaux dans un espace, thème ou narration en particulier.
Dans certains cas c’est l’espace qui détermine le travail en soi. Je pensais qu’il serait interessant de se concentrer sur cette partie là de mon travail et son importance.
Je propose de travailler sur une installation avec les élèves où on pourra expérimenter comment placer et combiner les œuvres, comment cela influence et change le travail en fonction de ce qui est proche et comment cela est montré.
(Douglas Eynon, conversation par mail)
Deux classes chaap ont eu une relation privilégiée à l’exposition :
la 4e chaap a rencontré l’artiste au moment de l’installation, en effectuant un travail sous son impulsion certains élèves de 5e chaap (environ une dizaine) ont accueilli des élèves de la maternelle des Moulins pour deux visites atelier : en autonomie, les élèves ont encadré l’accueil, les explications et l’encadrement de l’atelier de pratique auprès des élèves. Les compétences développées à cette occasion sont riches et nombreuses.
Michael Lilin