Spider and I sit watching the sky
On a world without sound
We knit a web to catch one tiny fly
For our world without sound
Brian Eno, Spider and I, 1977, Before & After Science.
Un hexapode (robot à 6 pattes pouvant évoquer une grosse araignée mécanique) évolue sur un socle au fil d’une sorte de chorégraphie artificielle, en interaction avec des sons diffusés à travers la pièce. Cette chorégraphie sera rythmée par de multiples variations de vitesses et autres micro-mouvements, esquissés par le robot au gré de l’évolution des sons. Cet hexapode présentera donc l’aspect d’une sculpture animée, jouant d’un contraste fort entre d’une part le caractère éminemment mécanique de sa facture, et d’autre part les qualités les plus expressives et « vivantes » à développer dans l’élaboration de ses mouvements et comportements. Le référent « arachnéen » de ce robot lui conférera une connotation nécessairement étrange voir inquiétante, alors que son comportement «dansant» lui donnera des attitudes inhabituelles pour une araignée.
SPIDER AND I engage par là une réflexion sur l’effet de contamination qui brouille aujourd’hui les frontières entre l’humain, l’animal et l’artificiel, alors que précisément la robotique dans ses développement actuels s’inspire de plus en plus d’éléments issus du vivant animal (il suffit de songer pour illustrer cela aux fameux quadrupèdes militaires développés par l’entreprise Boston dynamics). Cet objet singulier s’inscrira donc au coeur d’un écosystème mutant, en liaison avec l’espace (physique mais également sonore) qui l’entoure, en vue d’élaborer un étrange ballet zoo-mécanique.
Fabien Zocco, 2017
Le titre de l’exposition est tiré d’une chanson de l’artiste anglais Brian Eno, qui a toujours été à la recherche des nouveautés en musique, qu’elles soient artistiques ou technologiques. Brian Eno, entre le monde de la musique pop et celui de la musique expérimentale, a travaillé avec David Bowie, John Hassel, David Byrne… Il a par exemple été l’un des premiers à employer l’ordinateur dans son processus de composition. (F. Zocco)
Le travail de Fabien Zocco, qui emploie des technologies pointues, est bien évidemment sujet à des aléas liés à la complexité mise en œuvre. Il a donc évolué au cours du temps, et l’exposition finale n’est pas tout à fait celle projetée. En effet, au fur et à mesure de la conception de l’hexapode, Fabien Zocco a cherché à rendre encore plus intriquée la relation entre l’homme et la machine : alors que le robot dans sa première conception devait effectuer une sorte de chorégraphie en fonction de boucles sonores et musicales diffusées dans la salle d’exposition, Fabien Zocco a cherché à faire réagir l’araignée de plus en plus avec lui-même : d’une sorte de robot dansant, on est arrivé à un être électronique qui servirait d’interface à l’expression des émotions de l’artiste.
Fabien Zocco a travaillé avec un groupe de recherche de l’Université de Lille à l’élaboration, à travers une série d’indices captés par un bracelet numérique, d’une carte mentale de ses émotions : par l’analyse des battements cardiaques, de la température du corps, de la transpiration dermique, un programme établit une classification des émotions de Fabien, et ensuite un algorithme transforme ces informations en mouvements pour le robot.La chorégraphie est alors une façon pour l’artiste d’exprimer ses émotions, et, si la forme est bien entendu plus moderne, on en arrive à l’antienne habituelle de l’art, vecteur et pourvoyeur d’émotions.
Mais la mise au point des différents aspects de l’œuvre fut plus complexe que projetée, et au moment où l’exposition devait commencer, la machine n’était pas prête.
Fabien Zocco nous a alors proposé une autre exposition, liée à cette idée de départ : il nous a montré quatre grandes tables, éclairées par une lampe d’architecte, qui chacune présentait une vingtaine de dessins préparatoire et de présentation du projet.
D’une certaine façon, c’était une interface à rebours : ce qui était désormais présenté, c’était le processus qui a mené à la réalisation, avec ses errements, ses recherches techniques, quelques dessins presque métaphoriques sur l’idée abordée et ses différents aspects, théoriques, plastiques, technologiques.
On y voit des hommes qui se muent en robots, des araignées qui envahissent la feuille, des gros plans sur des articulations mécaniques, des câbles qui relient des têtes décapitées à des structures mécaniques…
Le trait est le même dans chaque dessin : un trait fin, simple et précis, la feuille de papier aux dimensions normées n’est jamais surchargée, il reste de l’espace sur la surface, même si la prolifération vient du nombre de dessins dans la salle. Chaque table est éclairée par une lampe qui pose un halo de lumière sur le milieu du plateau, laissant les dessins de la périphérie dans la pénombre.
Parallèlement, Fabien Zocco propose une œuvre projetée, I am You are : on retrouve la dualité dans le titre, la préoccupation de l’artiste d’évoquer sa relation au monde et aux autres humains. Le principe en est simple, mais la rigueur du programme est une source de poésie ou d’humour involontaire : à partir d’une liste des adjectifs qualificatifs de la langue anglaise, deux sont choisis et associés dans une phrase : I AM… AND YOU ARE…Les associations sont parfois étonnantes, parfois redondantes, parfois opposées ou irritantes, et le spectateur a beau savoir qu’il s’agit d’un programme, que c’est le hasard qui est à l’œuvre, on ne peut s’empêcher de projeter une intention, du sens dans l’association. Certaines paires feront réagir les élèves, d’autres les feront rire…
Fabien Zocco reçoit, une journée complète, presque tous les élèves du collège. Les classes avaient visité l’exposition, nous avions discuté des dessins et du projet d’œuvre, de ses enjeux artistiques et sociaux, de ce que cette araignée disait de nous et du monde dans lequel nous vivons viennent à sa rencontre, maintenant ils découvrent l’artiste, qui leur explique le projet et approfondit la première approche qu’ils en avaient, et ils découvrent également l’hexapode, qui élabore quelques mouvements pour évoquer la façon dont il exprimera ce que l’artiste ressentira lorsque tout sera finalisé.
Au delà même d’une forme d’art qu’ils ne soupçonnaient peut-être pas, ce qui leur a été présenté, et c’est aussi là la richesse de cette rencontre et de ces visite, c’est la démarche de l’artiste, son cheminement qui peut partir d’un dessin au stylo sur une feuille pour s’incarner dans un robot à la technologie complexe.
michael lilin