

Prêteur
Au fil des mots, des textes en accompagnement des expositions, on évoque les œuvres, les artistes, l’accueil et l’organisation, le vernissage, les rencontres … mais est souvent oubliée la figure du prêteur, celui ou celle qui rend possible. Cette personne au rôle essentiel connaît de multiples réalités.
En premier lieu, le prêteur le plus évident est l’artiste, lui-même pour le peu qu’il, elle, soit notre contemporain. Et que son caractère le, la, pousse à la rencontre et à l’échange. Ces deux derniers mots sont précieux car ils confèrent à l’artiste une intention et un désir qui ne relèvent pas de la simple volonté légitime d’une actualité, d’une visibilité.
Il appartient à l’artiste d’accepter que ses œuvres fassent un pas de côté dans l’espace d’un collège, d’une école, en s’éloignant des galeries, foires d’Art, musées ou même de l’atelier. La clé de ce choix passe par le désir du partage et de s’adresser aux plus jeunes, un public qu’il faut accueillir et qui peut aussi être difficile à » conquérir « , tout en étant le plus souvent le plus réceptif car ouvert, porté par la curiosité et toujours dans beaucoup d’attentes : voir, comprendre et toucher du regard la figure de l’artiste, cet être Autre, curieux…
Il s’agit alors d’entrer en dialogue et en écoute tout à la fois avec l’artiste et l’œuvre, tout en osant prendre sa place entre ces deux pôles. Car avant d’être un choix une exposition est une écriture. Avant de montrer, il faut entendre l’appel de l’œuvre, la voix de l’artiste et le murmure du regardeur qui fait l’œuvre. Il faut que ces trois-là, s’entendent et se rencontrent pour que chacun se fasse hôte pour pouvoir accueillir dans l’accueil pédagogique l’élève en lui préservant son émotion, en lui ouvrant un chemin vers. Penser une exposition c’est baliser un pas. L’artiste, le regardeur scripteur se font passeurs. L’œuvre, elle, s’offre, se donne, séduit, choisit celui, celle qu’elle invite. L’artiste lui-même doit prendre conscience que son œuvre lui échappe et qu’elle s’affranchit de lui pour partie, pour partir…
Ce qui est vrai pour l’artiste l’est aussi avec la collection, les conservateurs à la nuance où le premier cherche à transmettre, faire connaître, là où les seconds ont pour mission de conserver avant même de les mettre aux cimaises de nos regards. Tout en ayant le souci de transmettre tant par le « bon état » que par la connaissance. Emprunter auprès d’une institution muséale c’est entrer en dialogue avec les garants du savoir, ceux qui connaissent tout des œuvres. Il faut alors convaincre, montrer que le propos que l’on veut porter est juste, que l’exposition qui s’écrit est plausible et qu’elle apportera à celui ou celle qui la découvre une vraie découverte de l’œuvre. Convaincre alors, un conservateur, une conservatrice, est un moment jubilatoire, le franchissement du Cap Horn, un moment instance de complicité car l’on acquiert la complicité de celui, celle qui sait et peut faire choix de vous permettre l’accès à une collection, une œuvre. Le Conservateur et vous, vous vous trouvez et reconnaissez dans la connaissance, la compréhension, l’amour de l’œuvre. Et les portes s’ouvrent, les expositions s’écrivent.
Pour être complet sur ce tour de profil du prêteur, parfois associé à l’artiste, vient le galeriste. Figure à multiples visages, celui de la fin de non-recevoir et qui ne donne pas suite…celui qui prend le temps de vous répondre pour vous dire qu’il n’est pas là pour faire œuvre de pédagogie mais pour vendre, et qu’il n’a pas de temps à perdre…et il y a celui qui accepte d’être l’entremetteur entre l’artiste et vous, ce qui est essentiel dans bien des cas et un pas vers… Puis il y a celle ou celui enthousiaste qui vous ouvre sa galerie pour construire l’exposition et permettre aux élèves de rencontrer l’œuvre, il rejoigne à la fois le profil du prêteur artiste qu’il représente, le conservateur parce qu’ils ont comme lui la connaissance fine et absolue de l’œuvre.
Et il y a Stéphane Jacob…certes un galeriste mais la somme d’une humanité, d’un engagement et de connaissances. Stéphane Jacob vous accueille, écoute, au coin du feu de brousses de son univers et vous ouvre les chemins du Rêve. Il vous reçoit sans prendre de la hauteur, il s’assoit et vous accompagne déjà en vous posant hors temps de ce que vous êtes, il a commencé le voyage depuis si longtemps qu’il vous embarque dans les horizons culturels du Détroit de Torres, de l’art aborigène sans que vous ayez pris conscience du départ et combien les échanges avec ce grand homme va vous grandir, vous ouvrir les yeux et révéler la compréhension d‘un Monde.
Je suis venu à votre rencontre Stéphane pour une exposition sur la peinture aborigène et vous m’avez guidé sur les pistes d’un monde merveilleux et vertigineux que je parcours depuis nos premiers échanges, vous avez semé en ma terre aride la curiosité en me permettant de découvrir ce que ces points disent, racontent et combien ils sont une identité, un combat. Vous m’avez donné à voir les œuvres en volumes, les estampes tout en murmurant votre respect, votre amour et connaissance de ces arts, ces terres, ces hommes et femmes, vous êtes un passeur. Parfois espiègle quand on vous interroge et que l’on devine dans l’étincelle de votre regard que vous savez mais que fidèle à votre engagement, sans doute d’initié, vous savez taire par respect et ce silence malicieux devient leçon d’humanité et transmets tout autant que flot de paroles. Et malgré cette retenue que j’évoque vous êtes source intarissable de partage, à chacun de nos vernissages vous vous êtes fait hôte pour les regardeurs allumant votre feu de brousse par la force de votre présence, l’incarnation de votre voix en éternel passeur sous les Rêves que vous faites parcourir. Votre engagement, votre désir de transmettre et votre générosité ont permis par quatre expositions de toucher les élèves de leur permettre de se grandir, de grandir.
Je vous suis profondément reconnaissant pour ces chemins parcourus et je vous dis à bientôt pour continuer le voyage, le combat. Merci.
Yann Stenven
lien externe:https://www.artsdaustralie.com/fr/exhibitions/le-trait-pour-memoire