Pauline Delwaulle – « L’enfer de la consommation » – – Créations des élèves – Lycée Pierre Forest – MAUBEUGE – novembre 2015

Mercredi 16 septembre.

Pauline Delwaulle, cinéaste plasticienne, est venue à la rencontre des élèves de cinéma audiovisuel, tous réunis pour l’occasion dans l’amphithéâtre du lycée.

Après avoir retracé son parcours, elle a présenté ses travaux, de son « journal intime filmé, projet super 8 présenté à l’épreuve de CAV du baccalauréat, à sa toute dernière « installation de lumière », en cours de réalisation.

Pour chacune des oeuvres présentées, elle a expliqué l’intention et la démarche qui les sous-tendent. Particulièrement intéressée par la relation entre le paysage et la cartographie, entre le monde et sa représentation, elle a proposé aux élèves de réfléchir à la thématique suivante : « Représenter le monde ».

L’idée de « représentation » a donc été questionnée, faisant notamment émerger les notions de « point de vue », de « réalité », de « direction de spectateur »…

A l’issue de cette première rencontre, rendez-vous a été pris pour le vendredi, afin de poursuivre une réflexion globale sur la thématique, et d’amorcer une réflexion plus personnelle sur la manière de la traiter…

Vendredi 18 septembre.

Pour prolonger la discussion et alimenter la réflexion des élèves autour de la question de la représentation, Pauline Delwaulle a présenté des extraits de films dans lesquels la fenêtre, en tant qu’objet, ou le cadrage, fenêtre symbolique sur le monde, attestent manifestement d’une subjectivité dans la manière d\’appréhender ce dernier. A cet égard, Fenêtre sur cour et American Beauty, entre autres, se sont révélés particulièrement éclairants.

Ces quelques pistes de réflexion évoquées, Pauline Delwaulle a demandé aux élèves de représenter sur un papier les étapes de leur matinée, le trajet parcouru par chacun d\’eux, de la sonnerie du réveil au moment présent. Confrontés et comparés, ces dessins ont laissé transparaître, malgré un vécu similaire (se lever, se préparer, prendre le bus, etc.) de nombreuses variations dans la perception que chacun peut avoir de ces gestes quotidiens et dans la manière de la représenter.

A partir de ces premières esquisses, les élèves ont été invités à réfléchir par groupes au projet qu\’il souhaitaient réaliser dans le cadre du dispositif.

Vendredi 02 octobre.

De retour au lycée après deux semaines, Pauline Delwaulle a pu découvrir l’évolution de ce work in progress initié lors de la première rencontre.

Ces quinze jours ont en effet permis aux différents groupes de mûrir leur intention de projet et d’envisager la manière de les mettre en oeuvre, de faire des premiers repérages ou trames scénaristiques. Autant de preuves que les élèves ont de la suite dans les idées, des regards sur le(ur) réel, et une créativité à exprimer. Autant de fenêtres ouvertes sur le monde, dont les corollaires sont autant de fenêtres ouvertes sur les élèves.

L’un des groupes a notamment proposé de travailler autour du lycée, de penser son environnement quotidien non pas en termes de « réel », mais de « regard ». Et qui dit regard dit cadrage. Aussi les élèves ont-ils envisagé de prendre des photographies de l’un des bâtiments, en opposant le point de vue côté cour et le point de vue, non pas côté jardin mais côté boulevard. D’un côté une façade rénovée, de l’autre une façade intouchée depuis sa constrcution. Deux regards, deux points de vue sur le réel, et un questionnement autour de la représentation qui fait émerger l’idée de manipulation.

Pauline Delwaulle a donc eu matière à échanger avec des élèves qui se sont emparés de la thématique proposée. Force de proposition, elle a rebondi sur chacun des projets, ouvert des pistes de réflexion, recadré ou approfondi la démarche.

Vendredi 16 octobre.

Les projets sont lancés et les élèves commencent à accumuler de la matière. Filmique, photographique, rédactionnelle.

Comme ces élèves de 1e qui ont choisi d’interroger la représentation du monde qu’ont leurs camarades, par le biais d’une interview face caméra. Quelle image ces adolescents ont-ils de Maubeuge ? Quelle perception ont-ils de ce monde dans lequel ils vont devoir s’intégrer ? Quel avenir projettent-ils dedans ? Dans ce dispositif complexe, où aucun fard ni artifice ne vient faire écran, on ne « coupe » pas pour rejouer la scène. On écoute, on reformule, on fait préciser, on relance, on cherche à saisir le propos, à l’éclaircir, pour amener les élèves à exprimer leurs désirs, leurs attentes, leurs peurs, leurs projections. Et au détour d’une question, l’intime peut surgir. Parfois jusqu’au malaise. Jusqu’à cette étrange sensation d’avoir entendu une confidence par effraction. Mais ces moments fragiles attestent de la réussite de cet exercice pour le moins périlleux, qui voit émerger une vérité entre les interstices de l’apparence.

Un autre groupe s’interroge sur la manière dont les jeux vidéo, fenêtre ouverte sur un monde alternatif qui échappe aux règles communes, peut conditionner la représentation de la réalité, aliéner cette réalité. Mais comment filmer quelque chose d’aussi impalpable que l’addiction ? A partir de trois plans -des mains sur une console, les aiguilles d’une horloge et un extrait de jeu vidéo-, l’évolution de la perception, de la distorsion à la perte complète de repères spatio-temporels, sera marquée par un jeu sur la répétition, un travail sur le rythme de l’image et sur les sons, par la mise en place progressive d’un décalage entre ces derniers. L’objectif : faire ressentir au spectateur cette impression de vertige, que vient redoubler la mise en abyme opérée par les écrans, premiers « cercles » de cette spirale virtuelle dans laquelle le joueur se trouve aspiré, jusqu’à perdre la conscience d’un corps ancré dans une réalité physique avec laquelle il n’est plus en phase.

vendredi 27 novembre.

Des élèves préparent une installation vidéo dans la sandwicherie du lycée. Leur projet : montrer l’envers, « L’Enfer de la consommation ». Une nappe en papier, symbole de ce prêt à jeter, est disposée de part et d’autre d’une grille. Ainsi recyclée en écrans de projection, le support participe du propos. La forme sert le fond, le fond prend forme. D’un côté, des photographies de poubelles, d’immondices, avec des sons directs, bruts, où le bruit strident d’une benne à ordures s’apparente à un cri qui perce la nuit. De l’autre, des photographies de « facing » sur une musique d’ascenseur. Comme si l’envers et l’endroit du décor étaient renvoyés dos à dos pour mieux interroger ce monde qui peut-être tourne à l’envers…

Un autre groupe met en place son projet interactif sur les préjugés. La matière : Des portraits. Des textes qui parlent d’un lieu dans lequel on se sent bien. Les photographies des lieux en question. Quel lieu se cache derrière quel texte ? Quel visage se cache derrière quel lieu ? C’est tout l’enjeu du dispositif : interroger les idées reçues et gratter les apparences pour dégager la complexité des vécus.

Dans la salle adjacente, le même type de mise en scène. Des élèves disposent une série de photographies de Maubeuge sur une table, et en préparent deux autres : l’une étiquetée « vision positive », l’autre « vision négative ». Ces photographies, que le spectateur devra répartir en fonction de la représentation qu’il a de la ville, sont autant de révélateurs de subjectivités. Subjectivité des élèves qui ont choisi un cadrage, un sujet, une distance, un temps. Subjectivité des spectateurs qui probablement ne se trouveront pas là où les élèves pourraient les attendre…

Quant à Pauline Delwaulle, elle semble dotée d’un don d’ubiquité : elle jongle avec les projets, branche les amplis, scotche les câbles, vérifie les fichiers, etc., le tout dans une ambiance électrique… mais festive !

Simon Rongère