ADJIM DANNGAR -Djarabanne – Collège Albert Châtelet – DOUAI – 2024

Le cadeau

En cette soirée de vernissage vient un temps singulier propre à l’univers artistique qui visite nos murs. Notre hôte vient de s’asseoir.

On perçoit la file qui s’est constituée. Il doit déjà se sentir observé mais il sait que les regards ne tarderont pas à s’échapper de l’attention à sa personne pour ne suivre que sa main. Notre hôte, assis, prend le temps et le soin de sortir de sa trousse, ses outils. Une trousse qui par bien des aspects ressemble à celle de nos élèves : chargées, un peu avachie, et comprenant quelques feutres. Pas de gomme, ni de crayon à papier, notre hôte pratique un dessin direct. La pointe est fine et l’encre est noire. Un premier couple vient à la table. La maman de Mohamed avance avec lui, l’accompagne d’une main sur l’épaule. Tous deux sont intimidés d’approcher. Notre hôte les accueille par quelques mots tout en ouvrant l’album à hauteur de cette page blanche qui semble, là, pour recevoir.

Le capuchon saute, et tandis que la voix chaleureuse de notre hôte parle, échange avec le duo familial la pointe du feutre entame son dialogue, sa danse sur le papier.

Adjim Danngar n’est plus que voix et main, il peut se détendre, les regards l’oublient pour ne voir que sa main qui fait naître la forme, le dessin. Notre hôte, tout en dessinant, pose les questions et formule les réponses, Mohamed et sa maman sont à la poursuite du trait, regardent le geste qui à la page blanche couche le dessin.

Ce dessin que l’on vient de découvrir, parcourir au fil des planches, des cases. Ce dessin, que notre regard actualise, est déjà, avant notre regard. Le dessin de la planche a eu lieu. Il s’est figé dans l’attente de se faire page pour accueillir le lecteur. Il est né de la page blanche, sans crayonné préalable.

Adjim Danngar dessine directement à la plume et à l’encre de Chine. Et le blanc-seing de la feuille reçoit et recueille le monde de l’artiste. Le dessin caché, enfouit, sous la surface blanche, se révèle par le travail graphique du dessinateur. La poésie de son trait donne forme aux personnages, au décor, à l’arbre, à la termitière, crée tout un monde. On regarde un dessin qui s’est inscrit à la feuille , il est.

Adjim Danngar est à son trait, la page de garde de l’album ne l’impressionne pas, il livre son dessin dédicace avec spontanéité, liberté de la main. Le dessin parle et invite à le rejoindre lui, qui se fait l’écho, le prolongement de celui qui s’est donné à voir à la planche, aux cimaises de l’exposition. Mohamed et sa mère ne quittent pas des yeux le mouvement du feutre. Ils goûtent le présent de l’exécution. Ils mesurent ce qui leur semble relever d’une magie, les fascinent. La file d’attente a suspendu son souffle, personne ne parle chaque regard poursuit le ballet de la main, les pas chassés du feutre.

Au commencement, le trait se fait intrigue, il apparaît sans dire ce qu’il adviendra. On l’observe, on devine ce qu’il pourrait être pour s’étonner que la courbe que l’on pensait être une joue est le coude de Kanji qui dans les herbes tire la ficelle du cerf-volant. Mohamed découvre son nouveau compagnon qui a fui les pages pour venir le saluer dans l’avant de sa lecture. Kanji vient dire la rencontre, annoncer qu’ensemble, ils feront un bout de chemin.

D’ailleurs, le dessinateur ajoute au dessin, l’invite textuelle : » A Mohamed pour quelques pas…« 

« L’encre n’est pas sèche, ne ferme pas tout de suite. » prononcé par Adjim Danngar, ramène dans l’instant Mohamed qui est déjà sous le soleil de Sarh, les pieds dans le sable chaud à la conquête de la termitière ou dans les parfums du marché. Il remercie le dessinateur et s’éloigne à petits pas, tenant l’album entrouvert, les yeux pétillants, le sourire aux lèvres.

Déjà, les suivants sont à la table, et le rituel de la rencontre reprend, se répète avec la même générosité, un autre dessin, le motif ne se répétant pas. Au travers les premiers mots, regards échangés, le dessinateur saisit le cadeau qu’il peut offrir à son interlocuteur et lance son feutre à la page.

Au cours, de la soirée, trente-cinq albums de « 

Djarabane » recevront un nouveau  » chez soi », trente-cinq dessins se font présents. Les derniers traits se feront à la lueur d’un téléphone portable, la lumière générale programmée de l’établissement a tiré le rideau sur l’émerveillement des futurs lecteurs désireux de vivre ce moment privilégié où l’on peut interroger l’artiste et voir le dessin naître, tout en attestant que l’œuvre album me fait hôte en me nommant dès la première page. La dédicace lie le lecteur à l’œuvre, chacune des deux parties se fait hôte, s’invite à l’Autre.

Yann Stenven